Donald Trump triomphe, Hillary Clinton trébuche. Et les électeurs américains, de gauche comme de droite, expriment une rébellion de plus en plus ouverte contre ceux qui les dirigent depuis des décennies à Washington. La primaire de l’Indiana, mardi, marque indéniablement un tournant dans la campagne pour la présidentielle de 2016. La voie est libre pour le magnat de l’immobilier qui, avec 53,7% des voix, écrase Ted Cruz, son principal rival dans la course à l’investiture.
Dans ce fief républicain conservateur et religieux, le milliardaire se paye le luxe d’arriver avec près de 17 points devant Cruz, le candidat de la droite religieuse et conservatrice. Le retrait surprise dans la soirée de ce dernier permet à l’ancienne star de télé-réalité de faire campagne avec le statut de «candidat républicain présumé à la présidentielle».
Une dynamique renforcée, coté démocrate, par la contre-performance d’Hillary Clinton dans cet état du Midwest où Bernie Sanders remporte 53% des voix. Pas de quoi compromettre l’avance de l’ex-secrétaire d’Etat en nombre de délégués, mais un frein certain pour sa campagne. Visiblement désarçonnée, Hillary Clinton a été la seule à ne pas s’exprimer mardi soir. Ce qui n’a pas échappé à Donald Trump. «Nous allons désormais combattre Hillary Clinton, elle ne sera pas une grande, une bonne présidente mais une mauvaise présidente. Elle ne comprend rien au commerce», a-t-il trompeté depuis la Trump Tower, son QG new-yorkais.
Dans un discours somme toute relativement calme et présidentiel, et emprunt d’une grande habileté stratégique, il s’est ensuite attaché à rassembler son camp. «J’ai rivalisé toute mon existence, en participant à des compétitions dans le sport, le business et, depuis dix mois, dans la politique. Ted Cruz, je ne sais pas s’il m’apprécie ou non, mais c’est un sacré compétiteur. Il est dur, déterminé», a salué le désormais candidat présumé du GOP (grand old party, le parti républicain) se gonflant d’avoir terrassé un tel rival. Une demi-heure plus tôt, Cruz n’avait même pas prononcé son nom dans un long discours prononcé d’Indianapolis et dégoulinant de religiosité béate: «Nos droits ne viennent pas des rois, des reines ou même des présidents, mais de Dieu tout-puissant !» avait-il rappelé, avant de rendre un hommage aux qualités de visionnaire de Ronald Reagan. Et de concéder sa défaite.
«Menteur pathologique»
«J’avais dit que je continuerais aussi longtemps qu’un chemin vers la victoire existait, a finalement lâché le Texan parmi les cris d’une toute petite foule de supporteurs. Il semble que ce chemin s’achève. Ensemble, nous avons tout donné sur le terrain dans l’Indiana. Mais, ce soir, à mon grand regret, les électeurs ont choisi une autre voie. Nous suspendons notre campagne, mais pas notre combat pour la liberté.» Pas un mot de soutien pour Trump donc. Il faut croire que l’hypocrisie a des limites, même pour un chrétien : quelques heures avant le vote, Ted Cruz s’est lâché comme jamais devant les journalistes, rapporte le New York Times, traitant Trump de «menteur pathologique», de «coureur de jupons» et «profondément amoral».
Visiblement même les républicains purs et durs de l’Indiana ont plus adhéré au discours volontariste et protectionniste en matière d’emploi et d’économie de Trump qu’aux saillies fondamentalistes de Cruz qui a fini sa campagne en accusant Trump (et Clinton) d’être pour que les personnes transgenres puissent choisir d’aller dans les toilettes des femmes, au risque de les maltraiter !
«Big», «Very big», «Historique». Mardi, dès l’annonce des premiers résultats de la primaire dans l’Indiana, les commentateurs faisaient assaut de superlatifs pour décrire la victoire de Trump. Selon les estimations, il totalisait 53,2% des voix, contre 36,7% pour Ted Cruz et moins de 7,5% pour John Kasich au profil plus modéré. Rien ne semblait plus pouvoir arrêter la dynamique du candidat au toupet politique et capillaire phénoménal. Avec 1 013 délégués, Trump se rapproche du chiffre magique de 1 237 délégués nécessaires pour éviter une Convention républicaine où il pouvait voir sa nomination contestée au second tour du vote des délégués, en juillet, à Cleveland.
Si l’on croit les sondages actuels dans les Etats où auront lieu les prochaines primaires, avec la dynamique politique qui est la sienne, l’affaire paraît pliée pour Trump. Il semble que l’équipe de campagne de Cruz, plus inspirée par les maths que par Dieu, a fait les mêmes calculs. Cruz n’a pas réussi à se poser en alternative à Trump dans l’électorat républicain. Avec ses 154 délégués John Kasich, le gouverneur de l’Ohio au profil plus rassembleur et modéré, reste le seul en piste au cas où Trump échouerait de justesse à passer la barre, hypothèse désormais hautement improbable.
«Winter is coming»
Ce mercredi matin, l’Europe se réveille donc avec Donald Trump en candidat républicain présumé outre-Atlantique. Lui que beaucoup considéraient, il y a seulement quelques mois, comme un clown. Le voilà qui se révèle un très sérieux opposant à Hillary Clinton, forcée de boiter jusqu’à sa propre investiture par la dynamique de Sanders. Les commentateurs pointaient mardi soir, le moteur commun alimentant ces deux victoires : l’un comme l’autre ont su capter le rejet et la frustration profonde des électeurs américains des «Washingtoniens» qui se succèdent aux manettes du pays.
C’est justement parce qu’il n’a aucune expérience politique ni jamais exercé un mandat d’élu au service du public que de nombreux électeurs votent Trump. Qu’il soit en passe de remporter l’investiture républicaine est une première depuis la candidature de Dwight D. Eisenhower. Encore que ce dernier «était un général cinq étoiles, commandant en chef des armées alliées en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale», s’étranglait mardi soir le New York Times. Il fallait aussi voir la mine déconfite de David Axelrod, l’ancien chef de la stratégie des deux campagnes victorieuses d’Obama, reconnaître sur CNN qu’il s’est trompé sur Trump : «J’ai cru qu’il serait une passade de l’été, puis de l’automne. Puis qu’il ne passerait pas Noël.»
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L’autre raison du succès de Trump, qui a particulièrement joué dans l’Indiana, est son discours protectionniste et volontariste en matière d’économie. Quand il dit «Make America great again», les électeurs entendent «les Américains d’abord». Et pas seulement les républicains, la classe moyenne blanche. Conscient de la puissance de cet argument, l’intéressé est d’ailleurs bien décidé à s’en servir pour grignoter l’avance d’Hillary Clinton dans l’électorat noir et latino. Son principal handicap, avec l’abstention dans son propre camp. «Les Hispaniques veulent du travail, les Afro-Américains veulent du travail. On va faire revenir le travail et faire en sorte qu’ils restent chez nous», a promis Donald Trump en conclusion, en promoteur du rêve américain. «Winter is coming», ironisait mardi soir un commentateur à la télé américaine, en reprenant le slogan de la série Game of Thrones, le rire jaune au-dessus de sa cravate.
Matthieu Ecoiffier Envoyé spécial à New York
Source : http://www.liberation.fr/planete/2016/05/04/apres-l-abandon-de-cruz-trump-candidat-republicain-presume-a-la-presidentielle_1450413